Accéder au contenu principal

Articles

La vie se vit au présent mais s’écrit au futur antérieur, le temps de la construction de la mémoire : ce qui, dans le futur, appartient au passé. Quand Jean sera parti de la vie de Solange, il lui restera des souvenirs attachés à la corde de sa mémoire. Elle extraira la matière de ses futurs récits des nœuds que la vie fait autour des événements qui se superposent et des souvenirs qui se croisent. Pourra-t-elle penser désormais au Voleur de Feu ou à l’Amant du pont de pierre sans y attacher le récit qu’elle en aura fait à Jean ? Lequel des nœuds que Jean aura faits sur la corde des souvenirs de Solange sera le plus long à se délier ? Leur étreinte salée pour piano et violon ? Un anorak mauve qui court dans les rues de Prague, ou qui se retourne au Palais-Royal parce qu’il entend derrière lui une voix dire : « Madame ? » La corde que Jean aura enroulée autour du temps de Solange sera marquée de nœuds que Solange sentira lorsqu’elle déroulera ses souvenirs : le bruit des vagues viendr
Articles récents

Biographie de Berlin

Bibliographie Jens Bisky, Berlin. Biographie einer großen Stadt [Berlin. Biographie d’une grande ville]. Rowohlt, 975 p., 38 € et sa recension par Sonia Combe sur le site d'En attendant Nadeau

Et vous ?

Vous étiez né, vous ? Vous vous souvenez ? Vous faisiez quoi, quand vous avez appris ? Vous avez fait quoi, quand vous avez compris ? Vous n’étiez pas né ? On vous a raconté ? Vous nous dites ?

Final

La vie se vit au présent mais s’écrit au futur antérieur, le temps de la construction de la mémoire : ce qui, dans le futur, appartient au passé. Quand Jean sera parti de la vie de Solange, il lui restera des souvenirs attachés à la corde de sa mémoire. Elle extraira la matière de ses futurs récits des nœuds que la vie fait autour des événements qui se superposent et des souvenirs qui se croisent. Pourra-t-elle penser désormais au Voleur de Feu ou à l’Amant du pont de pierre sans y attacher le récit qu’elle en aura fait à Jean ? Lequel des nœuds que Jean aura faits sur la corde des souvenirs de Solange sera le plus long à se délier ? Leur étreinte salée pour piano et violon ? Un anorak mauve qui court dans les rues de Prague, ou qui se retourne au Palais-Royal parce qu’il entend derrière lui une voix dire : « Madame ? » La corde que Jean aura enroulée autour du temps de Solange sera marquée de nœuds que Solange sentira lorsqu’elle déroulera ses souvenirs : le bruit des vagues viendr

Vacances

Des bourrasques de vent glacial s’engouffrent sous la verrière de la Gare du Nord. Le printemps d’avril 1990 ne s’installe que par intermittence. Solange Passemer attend un train en provenance de Berlin. Elle fait les cent pas pour se réchauffer. Elle pense aux longues lettres qu’elle écrivait à Elsa Köcheln avec son stylo plume, accompagnées de cartes postales ou de menus présents – pas de livres, encore moins de cassettes ; Solange s’y était risqué une fois ; la bande magnétique lui était revenue avec la mention « matériel interdit ». Elle en avait été d’autant plus chagrinée qu’Elsa avait reçu la lettre séparée où Solange avait recopié les paroles des chansons enregistrées. Les deux jeunes femmes tenaient une correspondance assidue. Solange parlait de ses lectures, de sa thèse, un peu de ses amours, elle décrivait minutieusement à Elsa les monuments de Paris, les routes de ses vacances, car elle savait que les yeux d’Elsa ne les verraient jamais. Elsa lui envoyait des cartes postale
– Vingt ans, le bel âge ! s’écrit l’ancien dissident tchèque à peine la porte s’est-elle refermée sur l’étudiant un peu blond. Il y a beaucoup de passage chez Solange en ce mois d’avril. Une vieille amie de Berlin-Est. Sa jeune nièce Caroline et une Allemande de l’Ouest, venues ensemble visiter Paris. Aujourd’hui Jean accoudé au piano, affectant une pose nonchalante, observe la haute stature de l’éditeur de Solange, et la charpente plutôt massive de son ami tchèque pendant qu’ils récitent des dates et des hauts faits. S’imagine-t-il que ces deux hommes ont été les amants de Solange ? Les lui a-t-elle déjà présentés sous un nom d’emprunt ? Pavel finit par rester seul avec Solange. Il ne lui pose pas de questions, il affecte de s’en tenir au mensonge par omission de son hôtesse. Mais avec une lourdeur non dépourvue d’ironie il fait sans cesse revenir la conversation sur Jean. Solange n’est pas sûre que vingt ans soit un bel âge. Il porte en lui trop d’impatiences. Il porte en germe tou

Amnésie infantile

Jean Descours porte un autre nom que celui de son père. Dans un petit carnet, il dresse la liste des pseudonymes dont il pourrait signer son œuvre. Il n’a pas encore fait son choix. Ce nom devra-t-il être considéré comme plus ou moins vrai que celui sous lequel il est inscrit à l’état-civil ? De même, les noms que Solange donne à ses amants sont-ils plus ou moins vrais que ceux qu’ils portent dans la réalité ? En réalité, le père de Jean a très peu en commun avec l’explorateur qu’il imaginait enfant. Il suscite même chez son fils un soupçon de mépris. Petit, Jean s’est forgé une image irréelle de l’homme parti sans se douter de la conséquence d’une aventure rapide. Or n’est-ce pas la force – la vérité – de cette image, qui fait jouer la confrontation avec l’individu réel dont il est issu, en défaveur de celui-ci ? On appelle « amnésie infantile » le fait que les premières années de la vie ne laissent pas de trace directement restituable par le cerveau. C’est pourtant ces années-là qu