Leur premier souvenir commun est une conférence au lycée Lakanal de Sceaux. Madame Girard, professeur d'histoire, a demandé à son amie Solange Passemer, chercheur en sciences sociales à l'Ecole des Hautes Etudes, de venir parler à ses élèves de la censure dans les démocraties populaires.
Solange est sur l'estrade. Il ne lui faut que quelques minutes pour abandonner son sujet. Elle n’y tient plus. Après un bref clin d’œil en guise d’excuse à Françoise Girard, elle se met à raconter le 18 novembre à Prague et la voilà qui remonte encore un peu plus le temps, jusqu’à la folle nuit du 9, quand le téléphone a sonné depuis Berlin pour faire un pied de nez au mur. Jean Descours est coincé entre deux camarades, au cinquième ou au sixième rang, il boit ses paroles comme toute l’assemblée. Solange fait vivre le récit de sa marche dans Prague, y rajoutant ce qu’elle a appris par les médias. Elle parle de Václav Havel, en prison depuis janvier et libéré en juin – pour combien de temps avait-elle pensé alors ? Elle explique que le 17 novembre, 50.000 étudiants et lycéens de Prague voulant rendre hommage à un jeune Pragois tué par les nazis en 1939, se sont écartés du parcours qui leur avait été prescrit, pour aller porter, aussi, au pied de la statue équestre de saint Wenceslas, des fleurs à Jan Palach. En cet endroit le jeune homme avait fait une torche de son corps après la répression du Printemps de Prague, répression qualifiée par le pouvoir de « normalisation ».
La police avec ses blindés ne les a pas laissés passer, elle a chargé ; Solange hurle pour les cinq cents blessés tombés sur le pavé. La rumeur a même couru que Martin Smid était mort rue Nationale.
Solange prend un billet d’avion. Le lendemain elle est à Prague, les poings dans les poches. Ce jour-là commence la grève générale des étudiants de Prague, et le 19 novembre Václav Havel prend la tête du Forum Civique, réuni au théâtre de la Lanterne Magique. Solange a assisté plusieurs fois aux spectacles de ce théâtre, jeux d’ombre et de lumière qui opèrent la transmutation des personnages de chair sur la scène en leur image impalpable sur l’écran, et qui en retour rematérialise la présence virtuelle d’une image animée en un acteur réel. Elle pourrait recommencer à parler de la censure, mais Françoise Girard, par son écoute attentive, l’encourage à poursuivre. Solange dit alors comment les théâtres se mettent en grève l’un après l’autre et deviennent le lieu des rencontres après les manifestations. Et cela continue. Le 21 novembre, Václav Havel apparaît au balcon du journal Svobodné Slovo sur la place Wenceslas, aux côtés d’Alexandre Dubcek, secrétaire du parti communiste lors du Printemps de Prague et devenu garde forestier après la normalisation. Les 200.000 manifestants réunis sur la place leur font une ovation interminable. On pourrait croire à l’entendre que Solange était là, participant à pleins poumons à l’enthousiasme qui atteint son paroxysme quand Havel énumère les noms des dirigeants qu’il veut voir quitter sans délai la scène politique : « Milos Jakes ? » – A l’usine ! « Alois Indra ? » – A l’usine !
Mais Solange est déjà rentrée à Paris, ne détachant son oreille de la radio que pour s’entretenir par téléphone avec son ami Pavel Stanek qui suit lui-même les événements de loin, depuis son exil hollandais. Elle enrage d’avoir raté ce moment fort, elle se rattrape sur son estrade, elle harangue les étudiants réunis devant elle, elle voudrait qu’ils crient avec elle : « A l’usine !». Le 27 novembre, une grève générale de plusieurs heures a été massivement suivie par les ouvriers, et à l’heure où Solange Passemer s’exprime devant la classe de Jean Descours, on sait qu’un accord se prépare entre le Parti communiste et le Forum Civique.
Solange est sur l'estrade. Il ne lui faut que quelques minutes pour abandonner son sujet. Elle n’y tient plus. Après un bref clin d’œil en guise d’excuse à Françoise Girard, elle se met à raconter le 18 novembre à Prague et la voilà qui remonte encore un peu plus le temps, jusqu’à la folle nuit du 9, quand le téléphone a sonné depuis Berlin pour faire un pied de nez au mur. Jean Descours est coincé entre deux camarades, au cinquième ou au sixième rang, il boit ses paroles comme toute l’assemblée. Solange fait vivre le récit de sa marche dans Prague, y rajoutant ce qu’elle a appris par les médias. Elle parle de Václav Havel, en prison depuis janvier et libéré en juin – pour combien de temps avait-elle pensé alors ? Elle explique que le 17 novembre, 50.000 étudiants et lycéens de Prague voulant rendre hommage à un jeune Pragois tué par les nazis en 1939, se sont écartés du parcours qui leur avait été prescrit, pour aller porter, aussi, au pied de la statue équestre de saint Wenceslas, des fleurs à Jan Palach. En cet endroit le jeune homme avait fait une torche de son corps après la répression du Printemps de Prague, répression qualifiée par le pouvoir de « normalisation ».
La police avec ses blindés ne les a pas laissés passer, elle a chargé ; Solange hurle pour les cinq cents blessés tombés sur le pavé. La rumeur a même couru que Martin Smid était mort rue Nationale.
Solange prend un billet d’avion. Le lendemain elle est à Prague, les poings dans les poches. Ce jour-là commence la grève générale des étudiants de Prague, et le 19 novembre Václav Havel prend la tête du Forum Civique, réuni au théâtre de la Lanterne Magique. Solange a assisté plusieurs fois aux spectacles de ce théâtre, jeux d’ombre et de lumière qui opèrent la transmutation des personnages de chair sur la scène en leur image impalpable sur l’écran, et qui en retour rematérialise la présence virtuelle d’une image animée en un acteur réel. Elle pourrait recommencer à parler de la censure, mais Françoise Girard, par son écoute attentive, l’encourage à poursuivre. Solange dit alors comment les théâtres se mettent en grève l’un après l’autre et deviennent le lieu des rencontres après les manifestations. Et cela continue. Le 21 novembre, Václav Havel apparaît au balcon du journal Svobodné Slovo sur la place Wenceslas, aux côtés d’Alexandre Dubcek, secrétaire du parti communiste lors du Printemps de Prague et devenu garde forestier après la normalisation. Les 200.000 manifestants réunis sur la place leur font une ovation interminable. On pourrait croire à l’entendre que Solange était là, participant à pleins poumons à l’enthousiasme qui atteint son paroxysme quand Havel énumère les noms des dirigeants qu’il veut voir quitter sans délai la scène politique : « Milos Jakes ? » – A l’usine ! « Alois Indra ? » – A l’usine !
Mais Solange est déjà rentrée à Paris, ne détachant son oreille de la radio que pour s’entretenir par téléphone avec son ami Pavel Stanek qui suit lui-même les événements de loin, depuis son exil hollandais. Elle enrage d’avoir raté ce moment fort, elle se rattrape sur son estrade, elle harangue les étudiants réunis devant elle, elle voudrait qu’ils crient avec elle : « A l’usine !». Le 27 novembre, une grève générale de plusieurs heures a été massivement suivie par les ouvriers, et à l’heure où Solange Passemer s’exprime devant la classe de Jean Descours, on sait qu’un accord se prépare entre le Parti communiste et le Forum Civique.
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